À l’origine, BeReal n’était qu’un modeste projet expérimental. Une sorte de pied de nez aux réseaux sociaux dominants, où la mise en scène permanente et les filtres règnent en maîtres. Pensée comme une expérience sociale éphémère, l’application n’était pas censée durer. Pourtant, contre toute attente, elle a trouvé un écho massif chez la génération Z, au point de devenir, en quelques mois, l’un des phénomènes les plus viraux du monde numérique. Voici comment une idée simple, presque fragile, a bousculé notre rapport à l’image et à la spontanéité.
Une idée née du ras-le-bol des faux-semblants
Lancée en 2020 par Alexis Barreyat et Kévin Perreau, deux Français passés par la tech, BeReal voulait tester un concept : et si on ne partageait plus que de vrais instants de vie, sans filtre ni préparation ?
Le fonctionnement est volontairement déroutant : une fois par jour, à une heure aléatoire, tous les utilisateurs reçoivent une notification. Ils ont alors deux minutes pour prendre une photo, simultanément avec la caméra frontale et arrière de leur téléphone. Pas le temps de se recoiffer, de choisir un angle flatteur, ou de penser à la lumière. Le cliché, souvent flou ou banal, doit capturer un instant “réel”.
Au départ, le projet est lancé en petit comité, auprès d’amis, de proches, sans ambition virale. Les fondateurs parlent même d’une appli « vouée à disparaître après un mois », le temps d’analyser les comportements. L’idée : observer si la contrainte peut déclencher de la créativité… ou au contraire lasser.
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Une explosion inattendue (merci TikTok)
Mais en 2022, l’expérience prend feu. Un nombre croissant d’utilisateurs commence à publier des captures de leurs BeReal sur TikTok, accompagnées de commentaires du type “Caught in the act” ou “BeReal just hit in the middle of my exam!”. Ces extraits, souvent drôles ou absurdes, touchent une corde sensible chez les jeunes : l’anti-perfection devient un nouveau langage.
Résultat : l’application passe de 10 000 téléchargements début 2022 à plus de 50 millions en fin d’année. Aux États-Unis, elle se classe dans le top des applis les plus téléchargées sur l’App Store. Les campus universitaires en font un phénomène culturel. Le hashtag #BeReal explose sur toutes les plateformes.
Dans les coulisses : succès, chaos… et reconversion
Le succès fulgurant prend l’équipe totalement de court. Les serveurs plantent régulièrement, les notifications arrivent parfois en retard, et les bugs s’accumulent. L’entreprise, qui ne comptait qu’une poignée de salariés, doit rapidement recruter et lever des fonds pour faire face à la charge.
Mais surtout, les fondateurs doivent repenser leur modèle initial. Comment faire durer une appli conçue pour être temporaire ? Comment monétiser sans trahir l’esprit de départ ?
Le défi est complexe : BeReal se veut sans pub, sans influenceurs, sans algorithmes manipulateurs. Mais l’audience massive réclame des améliorations. En 2023, de nouvelles fonctions voient le jour : les “Bonus BeReal” (pour poster plusieurs fois par jour), une messagerie, et une meilleure gestion des souvenirs. Un équilibre fragile entre l’authenticité brute et les attentes des utilisateurs modernes.
Ce que BeReal dit de nous
Le succès de BeReal n’est pas juste une mode : il révèle un besoin profond de vérité dans nos interactions numériques. Les jeunes générations, saturées d’images trop parfaites sur Instagram ou Snapchat, cherchent un espace de respiration. BeReal offre une fenêtre, certes brève, où l’on peut exister sans fioriture.
Mais cette quête d’authenticité pose aussi question. Peut-on être “vrai” sous la contrainte d’un format ? Est-on encore authentique si on sait que tout le monde joue le jeu ? Certains utilisateurs attendent désormais la notification BeReal pour faire des choses “intéressantes”, paradoxalement planifiées.
Une expérience devenue mouvement
BeReal est sans doute l’exemple parfait d’une appli née d’une intuition simple mais puissante, devenue phénomène malgré elle. Elle ne propose pas un monde nouveau, mais un regard décalé sur le nôtre : un monde où l’on accepte (ou revendique) l’ennui, la banalité, le quotidien.
Aujourd’hui, BeReal continue d’évoluer, entre fidélité à ses racines et pression d’un marché ultra-concurrentiel. Qu’elle s’essouffle ou s’impose durablement, elle aura marqué une étape importante : celle où l’on a osé, même brièvement, montrer qui l’on est vraiment, sans filtre.